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Articles de presse

POURQUOI LA LANGUE FRANCAISE EN AFRIQUE FRANCOPHONE

1
Revue des langues françaises d'ici et d'ailleurs
Convergence francophone
Poésie francophone
contemporaine
Rayonnement de la
francophonie
Ecrivains francophones
Re
joignez
-
nous
Acadie
Albanie
Algérie
Ando
rre
Arménie
Autriche
Belgique
Bénin
Bosnie
-
Herzégovine
Bulgarie
Burkina
Faso
Burundi
Cambodge
Cameroun
Canada
Cap
-
Vert
Chypre
Comores
Côte d'Ivoire
Croatie
Djibouti
Dominique
Égypte
Émirats arabes unis
Estonie
Fr
ance
Gabon
Géorgie
Ghana
Grèce
Guinée
Guinée équatoriale
Guinée
-
Bi
ssau
Haïti
Hongrie
Iran
Italie
Japon
Laos
Lettonie
Liban
Louisiane
Lituanie
Luxembourg
Macédoine
Madagascar
Mali
Maroc
Maurice
Mauritanie
Moldavie
Monaco
Monténégro
Mozambique
Niger
Nouveau
-
Brunswick
Pologne
Québec
Rép. dém. du Congo
République dominicaine
République du Congo
République tchèque
République
centrafricaine
Roumanie
Rwanda
Sainte
-
Lucie
Sao Tomé
-
et
-
Principe
Sénégal
Serbie
Seychelles
Slovaquie
Slovénie
Suisse
Tchad
Thaïlande
Togo
Tunisie
Turquie
Ukraine
Vanuatu
Viêt Nam
N°1
-
Trimestriel
-
Avril
-
Mai
-
Juin
2012
2
Sommaire
Edito
Le soleil ne se couche jamais sur la francophonie,
ce monde ouvert sur le monde à travers une langue riche de
ses locuteurs, de ses couleurs et de ses accents. Car la
francophonie se définit avant tout par la diversité
:
"
Quel
français va
-
t
-
on parler
? [...] Il existe des francophonies. [...]
C'est ce qui fait la richesse d'une civilisation, non
?
"
. Ainsi
le grand Aimé Césaire s'insurgeait
-
il contre le gallocentrisme
qui croit que la francophonie appartient au seul hexagone
,
pour ne pas dire à quelques arrondissements parisiens.
C'est pourquoi cette revue est bien celle des
langues fra
n-
çaises d'ici et d'ailleurs
: certes la langue d'oil est aujourd'hui
d'usage, mais il ne faut pas oublier les langues régionales,
les patois n
i même les argots qui colorent notre langue. Mais
n'oublions pas pour autant que la francophonie embrasse les
cinq continents et que la langue française se nourrit des
saveurs africaines, des parfums asiatiques, des sonorités
américaines et de nos voisins
européens.
C'est pourquoi
Convergence francophone
. Le fra
n-
çais, ce sont les francophones qui le font vivre, le recréent,
parfois le malmènent mais toujours le caressent de leur
souffle. Et ce, quel que soit leur pays d'origine, quelle que
soit leur cultur
e, quelle que fût leur histoire. Qu'il me soit
permis de remercier Michel Mella, Président de la
Fédération
Internationale des Associations Culturelles, Artistiques, Litt
é-
raires, Poétiques et Francophones
(F.I.A.P.F.), à l'origine de
ce beau projet. Qu'il
me soit également permis de remercier
tous les auteurs de ce premier numéro, toutes ces plumes
de qualité qui ont su croire en cette revue de la francoph
o-
nie.
Ecoutons Senghor
:
"
La Francophonie, c'est cet
humanisme intégral qui se tisse autour de la terr
e
: cette
symbiose des "
énergies dormantes
" de tous les cont
i-
nents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur
complémentaire
[...] Le français, Soleil qui brille hors de
l'Hexagone"
.
C'est pourquoi
Convergence
: convergence à
travers la divers
ité, qui n'est pas une menace mais bien une
force, mixité de la pensée, rencontre des cultures. Il n'est
pas question de choc, mais au contraire de dialogue, de
dynamique, de synergie.
Convergence francophone
se donne pour mission
de relier les Hommes, de
faire partager les cultures des pays
francophones, de s'ouvrir au monde et d'ouvrir le monde à
lui
-
même, bref de le faire converger.
Convergence franc
o-
phone
, convergence des Arts
: la poésie comme fer de lance
accompagnée par la littérature en général, la
philosophie,
mais aussi la musique, la peinture, l'histoire de l'art
; toutes
ces disciplines qui font de nous des êtres humains. La po
é-
sie est le langage universel, le langage des dieux et donc
celui des Hommes
: si la poésie peut relier les Hommes et
les
dieux, elle peut jeter un pont entre les Hommes et les
Hommes.
Car, comme Senghor aimait à rappeler ce proverbe
issu de la sagesse wolof, lui qui fut meneur d'Hommes et l'un
des grands poètes francophones du vingtième siècle
:
Nit
moo
di
garab
u
nit
, ce q
ue la langue francophone traduit par
"
l'Homme est le remède de l'Homme
".
Antoine Houlou
-
Garcia
antoine.houlou@gmail.com
Rayonnement de la francophonie
L'Alliance française et les pays émergents
par Axel Maugey
p. 4
Langue et colonisation
par Stéphane Despréaux
p. 8
Pourquoi la langue française en Afrique francophone
?
par Julien Kilanga Musinde
p.
11
Des livres sur la francophonie et sur la langue française
par Axel Maugey
p. 15
Zoom sur...
La
Fédération Internationale des Associations Culturelles,
Artistiques, Littéraires, Poétiques et Francophones
10
ème
festival des
Francopoésies du Val d'Yerres
par Michel Mella
p.19
Tour de France de la poésie 2011
: à Carnac
par René Le Bars
p.
22
Rencontres européennes Europoésie
par Joël Conte
p. 23
Ecrivains et artistes francophones conte
m-
porains
Enfance et mémoire
par Jean Métellus
p. 25
Les poètes et leurs poèmes
G
uy Savel
p. 2
7
Pablo Poblète
p. 28
Daouda Mbouobouo,
Victor Hou
n
tondji
p. 2
9
Jacques Grieu,
Frédéric Lheureux,
Thie
r
ry Sajat
p.
30
Jean Vèze Verneuil, S
a
rah Mo
s
trel
p.
3
1
Smaïl Ougue
r
roudj, N
a
th
a
lie Bonneau
p.
3
2
Michel Kisnis, Bruno Lomenech
p.
3
2
Place des Arts
Rafik Zagora, Fatema Binet
-
Ouakka
p. 33
Comptes rendus
Horia Badescu,
Claude Aslan
p. 34
Alain
-
Gabriel Cassar, Giovanni Teresi
p.
35
Directeur
: Michel Mella
Rédacteur en chef
: Antoine Houlou
-
Garcia
Comité de rédaction
: Pascal Bonin, Joël Conte, Olivier F
u-
ron, René Le Bars, Martine Le Quentrec, Hervé S
e
mence
Conseiller
s
:
Alain Houl
ou,
Axel Maugey
Comité d'honneur
㨠䡡⁓Ⱐ⁔

Illustration en couverture
: Christelle Westphal
FIAPF
Hôtel de Ville, 60 rue du Général de Gaulle 91330 Yerres
www.FIAPF.com
Michel Mella
:
mmellafiapf@yahoo.fr
Pa
scal Bonin
:
pascbonin@free.fr
Joël Conte
:
joel.f.conte@wanadoo.f
r
3
Rayonnement
de la
francophonie
Libre inspiration polychrome
à partir de Henri Matisse, La Danse
4
L'Alliance française et les pays émergents
Axel Maugey
Spécialiste du français et de la francophonie mondia
le (France, Canada, Italie, Japon), conférencier international, consultant, chr
o-
niqueur à "
Canal Académie
", membre de l'Amopa, membre correspondant de l'Académie européenne et grand prix, médaille de
vermeil de l'Académie française. Il témoigne de l'aven
ture multiple des Français, des francophones et des francophiles dans plus
de trente livres dont le dernier
:
Privilège et rayonnement du français du XVIII
e
siècle à aujourd'hui
(Éditions Honoré Champion).
Pendant qu'à Paris certains "
re
s-
ponsables
" hés
itent à accorder
quelques crédits supplémentaires en
faveur de la culture française, dans le
monde, les chiffres très souvent
positifs et les faits réjouissants en
faveur de notre langue parlent d'eux
-
mêmes. Dans l'hexagone, parfois un
peu trop éloigné de
la vie bouillo
n-
nante, on ergote
; ailleurs, en agi
s-
sant sur le terrain, on obtient de
beaux résultats. Les gâtés que nous
sommes en général se plaignent,
tandis que ceux qui ont vraiment
besoin de progresser font tout pour
apprendre, réussir et aller de l'
avant.
Aujourd'hui comme hier, toujours au
cœur du rayonnement du français et
du dialogue des cultures, l'action de
l'Alliance française est incontou
r-
nable, notamment dans les princ
i-
paux pays émergents. Pour mémoire,
il existe un millier d'Alliances dan
s
137 pays. Chaque année, six millions
de personnes assistent aux manife
s-
tations culturelles proposées. C'est la
première école de langue au monde
servie par 1
200 salariés et 10
000
bénévoles. Avec talent, générosité et
ouverture, les Alliances enseignent
notre langue dans le monde à
500
000 personnes. Un peu plus d'un
quart de ces étudiants suivent des
cours dans six grands pays en pleine
évolution (cinq d'entre eux sont
d'ailleurs membres des Brics). Il est
intéressant de constater que, grâce
aux Allianc
es, l'Afrique du Sud r
e-
noue avec son lointain passé en
accueillant, en 2010, 4
377 élèves.
Le Brésil, si dynamique et franc
o-
phile, lui, 36
000. La Chine, qui cont
i-
nue de se mondialiser, 26
000.
L'Inde, plus discrète, en incluant le
Népal, lui aussi, 26
000
. Le Mexique,
toujours passionné par le dialogue
des cultures, 28
000. Quant aux
antennes russes, en incluant pour la
bonne cause l'Ukraine indépendante,
elles savent déjà plaire à 6
800 ét
u-
diants. Dans ces six pays, les poss
i-
b
i
lités créatrices sont très i
mpo
r-
tantes.
Cet engagement fort des "
A
l-
liances
" délibérément tournées vers
l'avenir, en privilégiant l'approche
stratégique est plus que prometteur.
Selon le Fonds monétaire internati
o-
nal, les Brics pèseront 61% de la
croissance mondiale en 2014, c'est
-
à
-
dire demain. Présentons encore
quelques éléments statistiques pour
dévoiler que l'ensemble de
l'Amérique latine, laquelle n'est j
a-
mais assez courtisée par notre action
diplomatique, reçoit, elle aussi, le
concours très apprécié des Alliances.
Dans huit de
s principaux pays
d'Amérique latine (dont le Mexique et
le Brésil déjà cités), elles forment
environ 150
000 étudiants.
Il suffit d'additionner le total des
élèves formés dans les six grands
pays émergents et celui des huit pays
d'Amérique latine (en sous
trayant
bien sûr les chiffres du Mexique et du
Brésil pour ne pas les compter deux
fois) pour obtenir un résultat final de
près de 280
000 étudiants dans se
u-
lement douze pays. L'Alliance fra
n-
çaise, qui est présente dans 137
pays, a compris que ces douze pa
ys
pesaient énormément dans le monde
grâce à leur démographie et à leur
croissance. En vérité, cet ensemble
accueille la moitié de l'humanité.
C'est plongé au cœur de cette réalité
nouvelle, effervescente, évolutive et
complexe qu'il m'est arrivé
d'entend
re certaines voix déplorer
que la place du français était quasi
inexistante en Inde. Comment peut
-
on être aussi ignorant
?
Venons
-
en aux faits
: l'Inde compte
deux langues officielles, l'hindi et
l'anglais, et 18 langues nationales.
Au cœur de cet ensemble
, le français
est enseigné comme quatrième
langue, mais, précisons
-
le, comme
première langue "
étrangère
", et ce
à tous les niveaux.
Il est même obligatoire dans les inst
i-
tuts d'hôtellerie et de tourisme. Le
nombre d'élèves qui apprennent le
français dan
s les cycles
d'enseignement primaire et seco
n-
daire s'élève au moins à 300
000. Ils
profitent des connaissances de près
de 4
000 professeurs.
Dans l'enseignement supérieur, pas
moins de 500 professeurs forment au
bas mot 60
000 étudiants. À ce
noyau dur, i
l faut ajouter les 26
000
étudiants des seize "
Alliances
"
installées en Inde sans oublier celle
(il y en a une seule) qui œuvre au
Népal.
Outre la francophonie résiduelle qui
perdure à Pondichéry, en Inde, le
français est en train de s'adapter à de
nouve
lles demandes en provenance
à la fois du public comme des entr
e-
prises. Par exemple, le réseau des
Alliances
a ouvert des centres de
formation pour les professeurs en
2009, à Delhi, en 2010, à Madras.
Ces établissements favorisent bon
nombre d'actions cultu
relles en org
a-
nisant des opérations bien ciblées,
comme le festival "
Bonjour India
"
qui a circulé avec un très grand su
c-
cès de janvier 2009 à décembre
2010.
Le réseau qui est en pleine mutation,
s'ingénie à moderniser ses sites
L'Alliance française, c'est plus de 1
072 comités installés dans 135 pays
5
internet, à développer l'e
nseignement
en ligne, à s'ouvrir à la coopération
décentralisée (avec le soutien de la
région "
Pays de la Loire
" depuis
2008) et à encourager les étudiants
indiens à partir en France, grâce à un
partenariat fécond avec "
Campus
France
" (Les inscriptions
ont été
multipliées par trois ces dernières
années).
Bref, en Inde, le français se muscle,
répond à une partie de la demande. Il
a visiblement devant lui un avenir
plein de promesses à condition de
trouver les fonds nécessaires pour se
moderniser et forme
r davantage
d'enseignants.
Restons en Asie, prenons à présent
la direction de la Chine, l'autre pays
prépondérant de la région qui connaît
un développement économique sans
précédent. Malgré les boulevers
e-
ments politiques énormes qui ont eu
lieu entre autre
s depuis soixante
-
dix
ans, même dans les moments les
plus difficiles, un petit groupe de
lettrés a réussi à sauvegarder de
précieux contacts avec la France.
Quelques noms restent emblém
a-
tiques
de cette passion : Chang
Tcheng (1899
-
1996), auteur d'un
récit
autobiographique très émo
u-
vant,
Ma mère
, préfacé en son temps
par Paul Valéry. On peut citer encore
Pa Kin ou Dai Wangshu ou La Ta
-
Kang, des classiques talentueux.
Depuis la reprise des relations off
i-
cielles avec la France, des auteurs
contemporains ont pr
is la relève de
ces maîtres. Il faut citer la romancière
Chow Ching, auteur de
Le Palanquin
des larmes
(1976). D'autres l'ont
suivie comme Shan Sa et Ying Chen.
Au cours de la dernière décennie,
d'autres noms ont donné à la franc
o-
phonie chinoise une réelle
plénitude.
Parmi eux une figure se détache
: il
s'agit du poète François Cheng l
e-
quel a été reçu à l'Académie fra
n-
çaise en juin 2002.
Comme vous l'avez compris,
l'Alliance française revient de loin en
Chine. Alors qu'au début du 20
e
siècle, des comités s'
étaient formés
dans plusieurs villes, à la fin des
années 40, avec la montée révol
u-
tionnaire, le réseau disparaît du pays.
Le retour ne se fait qu'en 1953 avec
la création de l'Alliance de Hong
Kong. En 1980, Macao accueille à
son tour une antenne. Dans le
s deux
cas, le succès dépasse les esp
é-
rances. En 1989, par souci
d'ouverture, les autorités chinoises
décident d'élargir le système
d'éducation en favorisant des part
e-
nariats avec l'étranger. Depuis cette
date, en à peine plus de vingt ans,
les quinze Alli
ances fra
n-
çaises
créées de toutes pièces a
c-
cueillent plus de 26
000 étudiants.
Elles connaissent toutes un succès
sans précédent et se développent à
plein régime. Le réseau a été n
o-
tamment un acteur majeur de l'année
de la Chine en France, comme il l'est
d
e la semaine francophone fêtée
chaque année depuis 2003. En 2010,
lors de la grandiose exposition de
Shanghai, le pavillon français (le plus
visité après celui de la Chine) a attiré
un nombre considérable de visiteurs,
preuve, s'il en fallait une, du très
vif
intérêt pour notre culture.
Dans toute la Chine, au moins 200
établissements enseignent aujou
r-
d'hui le français. Dans le cadre stri
c-
tement universitaire, 86 départ
e-
ments de français proposent
d'apprendre notre langue en 2010
contre 30 en 2002. Signe fo
rt de cette
montée en puissance, les experts
linguistes venus de France étaient 44
en 1999, 140 en 2004, et plus de 300
en 2010.
En 2011, 70
000 Chinois apprennent
le français à l'Université. Tous ces
étudiants bénéficient d'un corps pr
o-
fessoral d'environ
700 enseignants.
L'évolution est donc plus que pos
i-
tive, même si les classes sont bien
chargées.
Dans son réseau, fort, avons
-
nous
dit, de 15 implantations, l'Alliance
emploie 275 professeurs. Si les Ch
i-
nois se passionnent pour la langue et
la culture fr
ançaises, l'une des
grandes cultures occidentales, la
réciproque est tout aussi vraie,
preuve, s'il en fallait une, des i
m-
menses possibilités du dialogue des
cultures entre nos deux pays.
Quittons à présent l'Asie pour nous
intéresser à ce qui se passe sur
le
continent africain. Destination
:
l'Afrique du Sud qui vient de rejoindre
le club politique des pays émergents.
Comme avec tant de lieux de notre
planète, la France a eu des liens
particuliers avec ce pays, jadis si
lointain, grâce notamment aux 178
fa
milles protestantes venues s'y
installer de 1688 à 1691. Un bel acte
fondateur de nos relations.
Munis de leurs connaissances et de
leur savoir faire, ce petit groupe de
Français a été le premier à dévelo
p-
per l'agriculture et la viticulture. Si
bien qu'au
cours du XVIII
e
siècle ils
s'enrichirent. Aujourd'hui, dans un
contexte très différent, 20 % des
Afrikaners portent encore des noms
français
: tels Du Plessis, de Villiers,
Du Toit, Joubert, Malan, Terr
e-
blanche ou Marais. Certains de ces
patronymes ont sub
i une vraie mut
a-
tion. Par exemple, Leclerc est devenu
De Klerk. La persistance revendiquée
de cette lointaine influence se r
e-
trouve dans l'abondance des noms
français aussi bien dans la politique,
la finance que dans un sport très
apprécié
: le rugby.
Mêm
e si la communauté française
installée récemment ne dépasse
guère les 10
000 personnes, il s'agit
d'une population jeune, dynamique,
très entreprenante.
C'est à partir de l'an 2000 que l'on a
assisté à une demande appuyée de
cours de français en Afrique du
Sud.
Les professeurs des Alliances se
sont mis naturellement à l'enseigner
dans de nombreuses entreprises et
administrations. Ces sociétés ont en
effet réalisé qu'elles avaient besoin
du français pour multiplier les liens
commerciaux avec l'Afrique franc
o-
phone. Dès cette période, les c
i-
toyens noirs, jusque
-
là absents des
Alliances, les ont investies, fort de
leur nouveau statut économique. Si
bien qu'ils représentent, à présent,
une bonne moitié des inscrits. Les 46
Alliances installées dans cette vaste

gion se partagent 4
377 étudiants,
souvent épaulés par des volontaires
du progrès, venus de l'île de la Ré
u-
nion. Leur présence permet de re
n-
forcer les liens avec la région très
francophone de l'Océan indien. Les
possibilités pour l'avenir sont très
intéres
santes.
Dans le domaine culturel, en plus des
principales manifestations qui ont lieu
6
L'Alliance française en chiffres
pour promouvoir la francophonie, les
Alliances organisent des tournées
très appréciées pour chaque lauréat
du prix Gérard Sekoto récompensant
un jeune artiste sud
-
africai
n. En
outre, la plupart des antennes org
a-
nisent des ciné
-
clubs mettant en
valeur la production française. En
2009, elles ont notamment assuré la
projection du film "
Home
" de Yann
Arthus
-
Bertrand, illustrant ainsi
l'intérêt du public pour les enjeux
plané
taires.
Plusieurs projets en cours impliquent
des créateurs locaux. C'est ainsi que
des concerts hebdomadaires se
tiennent dans la ville du Cap et que
des lectures de contes bilingues ou
des discussions appelées "
Blabl
a-
bla
" accueillent à Johannesburg un
public très divers.
Compte tenu de la position géogr
a-
phique de leurs pays, des diplomates
sud
-
africains se tournent avec intérêt
vers la langue française. Le porte
-
parole du gouvernement a un jour
déclaré que "
vu le rôle que nous
jouons en Afrique, il fa
ut connaître le
français
". À la suite de cette déclar
a-
tion réaliste, plusieurs ministres ont
aussitôt sollicité l'aide de l'Alliance
française. Aux responsables locaux
d'accompagner au mieux cette d
e-
mande en faveur du français qui est,
comme on vient de l
e constater, loin
d'être négligeable, prête à évoluer
encore plus positivement, à condition
d'y consacrer des moyens suppl
é-
mentaires.
L'intégration de l'Afrique du Sud au
sein du club politique des pays éme
r-
gents n'est pas sans arrière
-
pensées
au regard de
l'actuelle course aux
minerais dont les pays émergents
sont gourmands. L'Afrique du Sud
dispose entre autres de 80% des
réserves mondiales de platine. En
2009, la Chine est devenue son pr
e-
mier partenaire commercial.
Après cette escale africaine prome
t-
teus
e, allons découvrir d'autres terres
dynamiques situées, celles
-
là, en
Amérique latine. Cap d'abord sur le
Mexique.
Une première constatation
saute aux
yeux : le réseau des Alliances fra
n-
çaises y est riche en milliers
d'étudiants. 27
Alliances reçoivent en
effet 28
000 étudiants. Le ratio est
plus que solide. Ces chiffres consi
s-
tants sont le résultat de relations
privilégiées que les deux pays entr
e-
tiennent depuis toujours. Le souvenir
très vif en France d'Octavio Paz, de
Carlos Fuentes, de Rufino Tamayo et
de tant d'autres poètes, romanciers
et peintres explique une partie de
cette fascination mutuelle.
Dans les grandes métropoles mex
i-
caines comme dans les villes plus
modestes, les Alliances sont des
partenaires très appréciées des inst
i-
tutions culturelles
ou universitaires et
des festivals mexicains. C'est ainsi
que "
La nuit des étoiles
", projet
astronomico
-
artistique initié en 2009
en collaboration avec l'Université
Nationale Autonome du Mexique
s'appuie sur le réseau pour organiser
des séances d'observ
ations ayant
lieu au cœur des grands sites a
r-
ché
o
logiques. De même, l'Alliance a
organisé, de main de maître, le tour
du ciné "
frances
" qui aura accueilli
140
000 spectateurs en 2009/2010.
Partout au Mexique, le réseau est à
l'origine d'échanges féconds,
nov
a-
teurs et fraternels.
À Monterrey, on a récemment fêté
avec un vif succès "
la création fra
n-
çaise
". À Guadalajara, on a proposé
de nombreux films. La ville de Mérida
est devenue le point d'appui des
relations entre la région "
Pays de
Loire
" et l'é
tat du Yucatan.
En 2011, un seul bémol et de taille
:
l'annulation de l'année du Mexique,
en France, à la suite de la triste a
f-
faire "
Florence Cassez
". Il faut
espérer que la vieille, riche et stim
u-
lante amitié franco
-
mexicaine su
r-
montera, dès que possi
ble, une i
m-
passe très peu culturelle. Il est bien
triste que la culture soit ainsi prise en
otage...
Plus bas sur ce continent si franc
o-
phile, les relations entre le Brésil et la
France sont plus que solides. 39
Alliances et 550 professeurs accuei
l-
lent 36
00
0 étudiants. Un véritable
record, puisque ce grand pays a
c-
cueille "
le premier réseau
" des
Alliances dans le monde.
On ne sait pas toujours que l'antenne
de Rio a ouvert ses portes deux ans
à peine après la création de celle de
Paris qui eut lieu en 1883
. Tant et si
bien qu'elle fait partie du patrimoine
culturel et de l'imaginaire collectif du
Brésil depuis 1885. Tout un bail.
Mieux, une entente, un partage.
Dans un tel contexte, vu l'immensité
du territoire brésilien, les nouvelles
technologies offrent
de nombreuses
possibilités d'évolution. La création
d'espaces de dialogues plus
agréables, plus modernes, plus co
n-
viviaux et l'ouverture récente de
nouveaux centres témoignent d'un
dynamisme à l'image de ce pays en
pleine croissance. De
l'agrandissement de
la maison de
Belem ou de Recife, à l'inauguration
de la dixième filiale de Rio, de la mise
en place d'un laboratoire multimédia
à Manaus ou d'un centre franco
-
allemand à Niteroi, les initiatives
qu'elles soient immobilières ou tou
r-
nées vers d'autres proje
ts souvent
très novateurs ne manquent pas.
L'année de la France célébrée, en
2009, on s'en souvient dans bien des
foyers, a permis de décentraliser,
d'énumérer et d'adapter l'action cult
u-
relle dans tout le pays, de Manaus à
Porto Alegre et de Brasilia à Sāo
Luis. Lors de cette célébration,
l'Alliance française a retenu deux
axes
: le premier concerne l'univers
des cultures urbaines, le second la
relation du Brésil avec l'Afrique.
Quant à l
'avenir, il s'annonce plus
que prometteur en événements à
partager puisque l'organisation de la
Coupe du Monde en 2014 puis celle
des jeux olympiques en 2016 seront
de nouvelles occasions de renforcer
les liens historiques et affectifs entre
nos deux pays.
Cette stratégie créatrice des pays
émergents ne devrait pas poser trop
de problèmes à la diplomatie fra
n-
çaise qui s'est engagée, avec crédib
i-
lité, pour la réforme de la gouve
r-
nance mondiale. La France entretient
d'ailleurs avec chacun de ces pays
d'excell
entes relations.
Après ces incursions trop courtes
mais fascinantes dans les terres
latino
-
américaines, revenons en
Europe et dirigeons
-
nous vers la
Russie.
7
Le français, en dépit d'une histoire
plus que tumultueuse, y garde des
amitiés profondes et indéfe
ctibles
(n'oublions pas de saluer ici, même
brièvement, un grand témoin gén
é-
reux qui s'appelle Andreï Makine). En
Russie, onze Alliances drainent 4
800
étudiants tandis qu'en Ukraine, pays
devenu indépendant, neuf Alliances
en train de se solidifier attire
nt déjà
2
000 étudiants. Dans cette vaste
région appréciée du regretté Maurice
Druon, de l'historienne Hélène Ca
r-
rère d'Encausse et de feu le roma
n-
cier Henri Troyat, les possibilités sont
immenses. En 2010, l'année France
-
Russie a permis non seulement de
c
onsolider les relations institutio
n-
nelles existant dans le domaine éd
u-
catif, universitaire et culturel, mais
aussi de développer des projets
inédits et d'élargir de nouveaux pa
r-
tenariats du Don à la Volga, à l'Oural,
à la Sibérie et jusqu'en Extrême
-
Orient
.
Plusieurs événements musicaux
qualitatifs ont été récemment prop
o-
sés dans le cadre de l'Alliance de
Samara et de celle de Rostov
-
sur
-
le
-
Don. En juin 2010, un événement de
taille a eu lieu
: le train "
Blaise Ce
n-
drars
" est allé jusqu'à Novossibirsk
en S
ibérie, par le Transsibérien, avec
à son bord plusieurs écrivains fra
n-
çais. Un tel déplacement a permis
des rencontres marquantes.
Autre événement de poids,
cette fois
à Vladivostok
où l'Alliance a présenté
l'exposition "
Primorye et les pio
n-
niers français
", bel hommage, entre
autres, au fameux explorateur La
Pérouse, venu jusqu'ici en 1787, et
aux pères jésuites, lesquels ont de
s-
siné, précisons
-
le, les premières
cartes de la région.
En Ukraine, les Alliances sont en
pleine professionnalisation. Elles sont
en train de devenir des lieux
d'apprentissage modernes et comp
é-
titifs.
Devant tant de réalisations et
d'événements réussis dans quelques
uns des principaux pays émergents
avec, ne cessons pas de le dire, peu
de moyens et énormément de réal
i-
sations et d'en
thousiasme, on peut
espérer que Xavier Darcos, devenu
le président de l'Institut français, le
nouvel organisme culturel unificateur
dépendant du Quai d'Orsay, répo
n-
dra dans la mesure du possible à une
demande en pleine croissance en
faveur de notre langue.
Aussi bien dans la mode, la danse
que l'architecture, on le sait, les cré
a-
teurs français sont des modèles
exceptionnels. L'œuvre de nos mei
l-
leurs écrivains comme nos films les
plus marquants sont également fort
appréciés dans le monde.
Quelques unes de n
os faiblesses à
soutenir notre expansion culturelle
généreuse viennent certainement
d'un manque de contacts féconds
entre l'université et l'industrie. Il est
plus que temps de relever un tel défi,
de persuader nos grands patrons de
s'intéresser davantage a
ux mille et
une possibilités de la culture. Ils
auraient intérêt à écouter Andreï
Makine qui, dans un de ses livres,
note que la France "
pèse encore
dans le monde, grâce à cet héritage
d'idées que les nations associent à
ce pays, à sa vocation surnaturell
e
clamée par Georges Bernanos
"
1
.
Pour continuer à aller de l'avant,
suivons l'exemplaire démarche de
l'Alliance française, un excellent
guide en la matière, inspirons
-
nous
de ses choix comme de ses actions
généreuses. Il est inadmissible que
certains de
nos responsables cont
i-
nuent de feindre d'ignorer l'immense
intérêt mondial qui existe un peu
partout pour la culture française et le
dialogue des cultures.
Dans mon nouveau livre qui s'intitule
Le privilège et le rayonnement du
français dans le monde
(qui
doit
paraître au début de l'année 2012),
j'insiste sur le fait que si nous ne
progressons pas plus vite à stimuler
le dialogue entre les cultures, c'est
parce que nous n'avons pas assez
de bonnes stratégies. Pourquoi ce
r-
tains politiques refusent
-
ils de par
ier
sur des stratégies
gagnantes ?
À nous, militants du dialogue des
cultures en France et dans le monde,
à Xavier Darcos et à d'autres pa
s-
sionnés, de penser le futur, de pr
o-
poser des stratégies encore plus
novatrices. Dans le contexte actuel,
l'Alliance
française est un laboratoire
d'idées et de réalisations. Des cr
é-
dits, même restreints, doivent être
débloqués et injectés aux meilleurs
endroits. L'usage bien ciblé des no
u-
velles technologies doit également
permettre un bond en avant, à cond
i-
tion que les c
ontenus tiennent la
route. Comment créer des pass
e-
relles très solides entre le monde du
livre et des nouvelles technologies,
entre les diverses générations pour
accompagner au maximum la je
u-
nesse
? Dans certains propos tenus
1
Andreï Makine
, Cette France qu'on
oublie d'aimer,
Flammarion, 2008.
récemment, Xavier Darcos a rais
on
d'insister sur l'importance des hiéra
r-
chies, des distinctions, des projets
qui méritent d'être défendus contra
i-
rement à d'autres. Tout en effet n'est
pas culture.
Il n'y a pas à proprement parler de
"
culture monde
". Cette réalité est
trop vaste, trop
floue. "
Qui trop e
m-
brasse mal étreint
", dit avec raison
le dicton. En revanche, il existe de
multiples cultures qui appartiennent à
notre univers. La culture est toujours
quelque chose de concret
: elle
s'inscrit dans un territoire propre, ce
qui ne l'em
pêche en rien de comm
u-
niquer, de partager, de s'enrichir, de
donner et de recevoir, de créer, de
profiter de nombreuses métamo
r-
phoses.
Nul doute que les pays émergents
sont de véritables laboratoires m
o-
dernes qui permettent à notre langue
et à d'autres la
ngues, à notre culture
et à d'autres cultures de prendre le
pouls de nouveaux pans de vie en
train de s'épanouir. Dialoguer en
profondeur avec les autres est une
promesse d'enrichissements mu
l-
tiples. Avec comme prime un vrai
partage au profit de toutes les
pa
r-
ties. Ce partage, les 500
000 ét
u-
diants des Alliances françaises, pour
ne citer qu'eux, l'apprécient au plus
haut point. Ils nous montrent d'autres
chemins. Ils viennent vers nous. À
nous de nous intéresser à leurs pa
r-
cours multiples et fondateurs.
12
paraître un certain nombre de questions
préalables qui doivent aujourd'hui être
pris en compte...
"
Quel type de français
doit
-
on enseigner
? Doit
-
on tenir compte
de ces particularités
? Autant de que
s-
tions qui se posent dont il faut tenir
com
pte à un certain niveau de formation
et de maîtrise de la langue française
pour éviter de compromettre
l'intercompréhension.
Et pourtant...
Malgré ce constat quelque peu
sombre de la situation du français
dans le monde, la langue française
occupe encore un
e position confo
r-
table dans le paysage linguistique
mondiale
:
Parler de la situation du français
dans le monde évoque à la fois son
statut dans le monde, son usage
traduit par le nombre de ses loc
u-
teurs et sa nature. Les études r
é-
centes font état de 115 m
illions de
locuteurs de français langue mate
r-
nelle, de 61 millions de locuteurs
maîtrisant partiellement le français et
de 89 millions de jeunes ou d'adultes
qui ont choisi d'apprendre le français.
La langue française est parlée sur les
cinq continents par
265 millions de
personnes. Elle est le lien fondateur
de 70 Etats dont 30 l'ont adoptée
comme langue officielle. Treize pays
l'ont comme l'unique langue officielle, en
Afrique (Bénin, Burkina Faso, Congo,
Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Mali,
Niger, Républi
que démocratique du
Congo, Sénégal, et Togo) et en Europe
(France et Monaco).La langue française
partage le statut de langue officielle
avec une ou deux autres langues dans
huit pays d'Afrique (Burundi, Cameroun,
République centrafricaine, Comores,
Djibout
i, Guinée Equatoriale, Madaga
s-
car et Rwanda), dans deux pays
d'Amérique (Canada, Haïti), dans trois
pays d'Europe (Belgique, Luxembourg,
Suisse), dans un pays de l'Océanie (Les
Seychelles et dans un pays d'Asie (V
a-
nuatu). Il y a lieu de noter la présence
d
es pays qui ont le français comme
langue non maternelle et non officielle
.C'est le cas en Afrique du Nord
(l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, l'Egypte),
en Europe Centrale et Orientale (la
Moldavie, la Pologne, la Roumanie, la
Bulgarie, la Grèce, etc.).
En
ce qui concerne l'enseignement du et
en français, on dénombre 900
000 e
n-
seignants du français dont plus de
400
000 en Afrique subsaharienne,
100
000 au Maghreb et 700
000 en
Amérique du Nord. Quant aux effectifs
des gens apprenant le français, on en
compte
en Afrique subsaharienne
33
398
000, en Afrique du Nord et au
Moyen
-
Orient 18
018
000, en Amérique
et dans les caraïbes 8
490
000, en Asie
et en Océanie 2020000 et en Europe
27
708
000. La publication de l'ancien
Haut Conseil de la Francophonie,
La
Franco
phonie dans le monde 2004
-
2005,
consacre un chapitre sur
l'enseignement du et en français dans le
monde où on donne les statistiques des
apprenants par pays classés par région
géographique.
Dixième langue du
monde par le nombre de locuteurs, elle
est la deu
xième langue (après l'anglais),
par l'étendue spatiale et par le positio
n-
nement comme "
langue officielle
"
dans une trentaine d'Etats (quarante
-
cinq pour l'anglais
!).
L'espace francophone sert environ 653
millions de consommateurs
qui repr
é-
sente 24% du c
ommerce mondial et
draine 20 à 25 % de flux touristiques.
La langue française est la deuxième
langue étrangère la plus choisie dans le
monde. Dans les organisations intern
a-
tionales, comme langue de communic
a-
tion mondiale, elle est la langue officielle
et d
e travail de l'ONU (avec l'anglais, le
russe, l'arabe, le chinois et l'espagnol),
du Conseil de l'Europe, de l'OCDE et de
l'OTAN (avec l'anglais), de l'ALENA
(avec l'anglais et l'espagnol), de l'Union
africaine (avec l'anglais, l'arabe, le po
r-
tugais et le
swahili) (cf. R. Renard
,
Ethique de la Francophonie
, C
I-
PA,2006).
La langue française est la langue
par excellence de création litt
é-
raire. En effet, le français ne trouve
de prestige et ne pourra garder
son statut de langue i
n
ternationale,
de langue d'émoti
on aussi, qu'à
condition qu'il continue à être illu
s-
tré. Quelle meilleure preuve de ces
qualités du français que le fait que
ce soit des écrivains dont le fra
n-
çais n'est pas la langue maternelle
qui utilisent comme langue
d'écriture privilégiée le français
?
On peut citer un grand nombre
d'écrivains qui utilisent le français
comme langue d'expression. Ne
faut
-
il pas citer parmi eux les a
n-
glophones qui offrent les cas les
plus exe
m
plaires, dans la mesure
où ils pou
r
raient utiliser une langue
qui bén
é
ficie d'
un prestige intern
a-
tional au moins égal au français
?
Parmi ces derniers, on peut penser
à Samuel Beckett, à John Little
mais on peut penser aussi à
d'autres européens que ce soit des
roumains comme Cioran, Ionesco ou
que ce soit des slaves comme Kundera.
On peut citer encore bien d'autres écr
i-
vains, par exemple les écrivains arab
o-
phones, comme Naïm Kattan mais aussi
les maghrébins comme Yasmina Kh
a-
dra, Driss Chraïbi, Boualem Sansal, des
écrivains créolophones comme Confiant,
Chamoiseau, Césaire et enfin de
s écr
i-
vains africains d'Afrique Noire comme
Kourouma, Hampaté Bâ, Lé
o
pold Sédar
Senghor, Cheik Hamidou Kane, Sony
Labou Tansi, Henri Lopes, Alain M
a-
banckou, Ferdinand Oyono, Mudimbe,
Dieudonné Mukala Kadima Nzuji, Pius
Ngandu et bien d'autres.
Mais pourquo
i choisissent
-
ils la langue
française comme langue d'écriture?
Il faut se tourner vers les écrivains qui
ont choisi le français comme langue
d'écriture pour trouver réponse à cette
question délicate. Pour les écrivains
issus des pays africains francophones
,
le choix de la langue française peut
13
sembler une contrainte mais différentes
sensibilités se font jour dans ce rapport
à la langue d'écriture.
Jacques Chevrier distingue trois types
de réactions
: les réticents comme Se
m-
bene Ousmane qui écrit à contrecœ
ur
en français et se prononce paradoxal
e-
ment en français pour une politique
linguistique favorisant les langues afr
i-
caines
:
"
On ne décolonise pas l'Afrique
avec les langues étrangères. La langue
est un problème national
". Il y a aussi
les réalistes qui
acceptent le fait hist
o-
rique en regrettant de ne pouvoir écrire
en langue africaine, comme Jean
-
Baptiste Tati Loutard qui reconnaît que
la littérature congolaise orale est certa
i-
nement sa littérature la plus accomplie
dans la mesure où elle s'accorde parfa
i-
tement avec les traditions culturelles.
Mais il ajoute qu'elle est en train de
perdre son support et son statut et que
le passage par le français est un biais
obligé. Tchicaya U Tam'si va dans le
même sens et accepte le recours au
français comme phénomène
naturel
mais à condition de le
"
tropical
i-
ser
"
:
"
La langue française me col
o-
nise. Je la colonise à mon tour.
"
Enfin,
il y a les enthousiastes comme Senghor
qui multiplie les professions de foi fav
o-
rables au français, comme dans la pos
t-
face de son recu
eil
Ethiopiques
:
"
C'est le sceau de la Négritude,
l'incantation qui fait accéder à la vérité
des choses essentielles
: les forces du
Cosmos. Mais on me posera la que
s-
tion
: "
Pourquoi, dès lors, écrivez
-
vous
en français
?
" Parce que nous sommes
des méti
s culturels, parce que, si nous
sentons en nègres, nous nous expr
i-
mons en français, parce que le français
est une langue à vocation universelle.
Car je sais ses ressources pour l'avoir
goûté, mâché, enseigné et qu'elle est la
langue des dieux. Ecoutez don
c Co
r-
neille, Lautréamont, Rimbaud, Péguy et
Claudel. Ecoutez le grand Hugo. Le
français, ce sont les grandes orgues qui
prêtent à tous les timbres, à tous les
effets, des douceurs les plus suaves aux
fulgurances de l'orage. Il est tour à tour
ou en même te
mps, flûte, hautbois,
trompette, tam
-
tam et même canon. Et
puis le français nous a fait don de ses
mots abstraits
-
si rares dans nos langues
maternelles
-
, où les larmes se font
pierres précieuses. Chez nous, les mots
sont naturellement nimbés d'un halo de
s
ève et de sang
; les mots français
rayonnent de mille feux, comme des
diamants, des fusées qui éclairent notre
nuit.
"
Des raisons d'espérer
Au regard de ce paysage, pour la Fra
n-
cophonie, le maintien de la langue fra
n-
çaise dans son statut de langue de
comm
unication mondiale est donc une
nécessité vitale, à la fois pour ne pas
être complice de l'atrophie du patrimoine
linguistique mondial et pour ne pas a
c-
centuer la marginalisation de vastes
régions du Sud, notamment l'Afrique,
pour qui l'accès à la mondiali
sation, pour
des raisons historiques, ne peut se réal
i-
ser, dans l'immédiat, que par elle.
L'enjeu dans cette perspective, serait de
consolider les positions déjà acquises
par la langue française et, de là, de lui
assurer un grand rayonnement, y co
m-
pris au
sein des institutions régionales,
en tenant compte de la diversité de la
demande, de la prise en compte des
plurilinguismes nationaux et de
l'appropriation du français par les co
m-
munautés nationales et régionales.
L'Europe constitue le berceau originel
de
la langue française, terrain où elle a
connu une forte expansion, à travers
des siècles, comme langue des élites,
en même temps qu'elle essaimait sur les
autres continents comme langue adm
i-
nistrative. Ici comme ailleurs, elle a
bénéficié, après son implant
ation, d'un
prestige et d'un rayonnement rema
r-
quable comme langue d'enseignement
ou encore comme langue officielle.
L'enjeu serait d'élaborer des actions
concrètes de diffusion de la langue fra
n-
çaise et de négocier son statut dans le
paysage linguistique d
u continent pour
ainsi mettre en place une dynamique
spécifique capable d'assumer cette
situation concrète. Comme on le voit, la
mise en place de dispositifs cohérents
de formation dans ce secteur demeure
ainsi une priorité, de même l'élaboration
de soluti
ons contextualisées impliquant
la gestion du multilinguisme, la focalis
a-
tion sur la langue française offrant des
perspectives professionnelles et le dév
e-
loppement d'une coopération régionale.
On ne peut s'imaginer inverser la te
n-
dance linguistique dans le
monde sans
la mobilisation de tous les Etats et go
u-
vernements et des milliers de fonctio
n-
naires francophones exigeant la reco
n-
quête de la parole des diplomates et
agents des organisations internationales
et une concertation autour de l'action de
promotion
du français. L'identification
préalable des contraintes susceptibles
de limiter l'usage de la langue française
dans les institutions permet de circon
s-
crire les déclinaisons tactiques néce
s-
saires.
Pour l'Afrique Subsaharienne, un travail
doit être accompli
pour permettre de
nouvelles approches curriculaires et
l'accent doit être mis sur la définition des
compétences de base en français dans
un contexte multilingue. Ce mouvement
doit obligatoirement s'accompagner de
mesures spécifiques pour la formation
de ma
îtres de l'école de base par le
renforcement de leurs compétences
linguistiques en langue française. La
question de la qualité de l'enseignement
doit être au cœur des préoccupations. Il
faut aussi réaliser des actions susce
p-
tibles d'améliorer effectivement
l'articulation entre le français et les
autres langues nationales dans
l'apprentissage du français. La stratégie
devrait consister dans le soutien à des
actions de terrain pour la diffusion de la
langue française notamment dans
l'enseignement du français
et en fra
n-
çais.
Il faut accompagner et soutenir la forte
demande en faveur de l'enseignement
du français et en français. Le renforc
e-
ment des politiques linguistiques et
éducatives est à prendre en considér
a-
tion afin de permettre aux pays africains
d'obteni
r une amélioration des comp
é-
tences des élèves, une meilleure ada
p-
tation à un enseignement supérieur de
qualité. Les mesures incitatives et cla
i-
rement volontaristes, au sein des sy
s-
tèmes éducatifs, pour un apprentissage
construit du français et en français
pe
r-
mettront de résoudre à terme ces diff
i-
cultés ou à les atténuer
.Dans le cadre
d'un multilinguisme équilibré, le français
devrait en effet être perçu comme un
atout de développement, d'échanges, de
mobilité et de promotion de la diversité
culturelle. La
mise en place de dispos
i-
tifs cohérents de formation dans ce
secteur demeure ainsi une priorité de
même que l'élaboration de solutions
prenant en compte la gestion du mult
i-
linguisme.
Aujourd'hui, on s'intéresse beaucoup à
l'avenir du français (Voir à ce suj
et
l'ouvrage produit sous la direction de
14
J.
Maurais, P.
Dumont,
J.
M.
Klinkenberg, B.
Maurer et
P.
Chardonnet,
L'avenir du français
,
Paris
-
Montréal, éditions Archives co
n-
temporaines et AUF, 2008). Pour ass
u-
rer l'avenir du français dans le monde, il
faut d
es stratégies fortes car l'existence
et la réalité d'une langue se situent dans
l'esprit des personnes qui l'utilisent. Elle
ne peut exister que si une communauté
la parle et la transmet. Dans ce co
n-
texte, la force d'une langue repose avant
tout sur la jeu
ne génération qui doit bien
l'apprendre car les langues sont en
danger lorsqu'elles ne sont plus tran
s-
mises. La Francophonie joue à ce sujet
un rôle important dans le domaine de
l'enseignement du français. Le français
a un réel atout que constitue la comm
u-
nauté francophone. La multitude
d'instances et d'organismes chargés de
promouvoir le français dans le monde
constitue une force dans la mesure où
les différents acteurs engagent dans le
bilatéral et dans le multilatéral, des a
c-
tions coordonnées, résolues e
t
d'ampleur pour garantir l'avenir de la
langue française dans le monde. Mais la
promotion institutionnelle de la langue
serait vaine sans son usage et celui
-
ci
est, en définitive, un acte individuel qui
relève aussi de la responsabilité de
chacun.
Pour l'
efficacité des actions à venir, il est
question
:

de mettre au point un système
d'analyse statistique pour juger à
l'avenir de l'effectivité de l'usage du
français dans le monde et dans les
organisations internationales. La
Francophonie a prévu à ce sujet
"
une cellule de l'observation du
français
".

de mobiliser les pays membres de la
Francophonie
: un vade
-
mecum
pour la relance du français dans la
vie internationale a été adopté au
Sommet de Bucarest et le concept
de pacte linguistique.

de renforcer la c
oopération avec les
autres organisations et les org
a-
nismes linguistiques francophones
intervenant dans le domaine de la
promotion et de l'enseignement du
français dans le monde.
En réalité, puisqu'en dépit de sa divers
i-
té, la langue française est
"
une
",
elle
devrait en principe faire l'objet d'une
politique commune de son affirmation et
de son rayonnement. Une politique qui
aurait pour effet non seulement de co
n-
firmer le statut communautaire de la
langue, mais de permettre la mise en
commun des moyens dis
ponibles au
service de son développement. Il revient
à la Francophonie institutionnelle, qui
est le lieu tout indiqué de mobilisation
générale en faveur du français, de
mettre en place une telle politique gl
o-
bale, capable d'inspirer l'ensemble des
interven
tions possibles, bilatérales et
multilatérales, institutionnelles et pr
i-
vées. Ce rôle de la Francophonie devrait
s'exercer au moins à deux niveaux
:
d'abord celui de l'élaboration et du suivi
de cette politique globale, ensuite celui
de suivi des stratégie
s ciblées, par r
é-
gions et par domaines. Dans la mise en
œuvre de toutes ces stratégies, on
s'appuierait sur les réseaux composés
des acteurs de terrain notamment les
services des langues des pays
membres, les offices des langues, les
observatoires de langu
es, les institutions
et les conseils des langues. Pour cela, la
mise en place des réseaux des opér
a-
teurs et organismes linguistiques de
terrain à composition légère pour la
maîtrise du tissu concret de la politique
des langues sur le terrain est néce
s-
saire
.
Pour conclure
Comme on peut bien le voir, la question
de la situation et du choix du français est
une question à la fois politique, lingui
s-
tique et culturelle. C'est une question
fondamentale qui soulève le problème
de son pouvoir créateur et des raison
s
sociales, politiques ou personnelles de
son choix. Elle pose aussi le problème
de l'avenir du français.On peut penser
au récent ouvrage de Jean
-
Louis Roy au
titre interrogatif,
Quel avenir pour la
langue française
? Francophonie et
concurrence culturell
e au XXe siècle
(Montréal, Hurtubise, 2010) et à
l'ouvrage de Julien Kilanga Musinde
Langue française en Francophonie.
Pratiques et réflexions
(Paris,
L'Harmattan, 2009). Cet exercice de
prospective a une certaine utilité qui
consiste à mettre en lumière l
a confro
n-
tation des visions de l'avenir et souvent
d'analyse des choix du présent et du
passé. Au regard de la situation actuelle
de la langue française dans le monde, la
consolidation des choix actuels néce
s-
site des stratégies fortes. La Francoph
o-
nie qui
considère la langue française
comme langue en partage des pays
membres et comme une langue à part
a-
ger devra jouer à ce sujet un rôle impo
r-
tant dans le domaine du rayonnement
de cette langue. La communauté fra
n-
cophone constitue un réel atout pour la
langue
française. Mais la promotion
institutionnelle de la langue serait vaine
sans son usage et celui
-
ci est, en défin
i-
tive, un acte individuel qui relève aussi
de la responsabilité de chacun. Et
l'écrivain francophone, de par son po
u-
voir créateur, constitue un
atout majeur
dans la consolidation du choix de la
langue car la littérature est non seul
e-
ment productrice de la langue, mais elle
constitue un point d'attraction pour ce
qui concerne le français. Le soutien de
cette forme de créativité allant de
l'initiat
ion à l'écriture à des facilitations
pour l'exercice de cet art en passant par
la mise en place d'une politique
d'incitation à la création assurera la
pérennité des choix opérés à tous les
niveaux.
Pour ainsi renforcer la position du fra
n-
çais en Afrique et
justifier le choix de
cette langue, la Francophonie devra
positionner la langue française comme
espace de rencontre et d'échange de
cultures différentes, sans rien sacrifier
de leurs génies propres. La langue fra
n-
çaise dispose déjà d'une grande exp
é-
rience
dans ce domaine. Langue de la
diversité culturelle, la langue française
se doit de dialoguer avec les autres
langues en établissant des synergies
avec les langues de son environnement
immédiat. L'enseignement du français
serait un mode de distribution de
cette
interculturalité dans les différentes r
é-
gions de son espace en veillant à ce que
"la langue en partage et à partager
"
soit de plus en plus compétitive, comme
langue du savoir et du savoir
-
faire, car la
vitesse du développement technol
o-
gique et indu
striel impose aujourd'hui
aux langues un effort permanent
d'adaptation aux réalités et aux enjeux
de la société mondialisée multilingue.

REVUE DES LANGUES FRANCAISES D'ICI ET D'AILLEURS-CONVERGENCE FRANCOPHONE, juin 2012

http://www.amopa.asso.fr/pdf/articles/bulletin_...

Auteur concerné :

Daouda Mbouobouo


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