Le perroquet d’Afrique : entre le rêve et l’enfer
La publication de ce roman remonte à 2005 chez L’Harmattan. Mais je considère cette cérémonie comme un acte par lequel le livre est véritablement « publié ». Je prends ce mot « publier » à la lettre : faire de quelque chose une affaire publique, une affaire du public. Et pour un livre, il n’y a pas meilleure « publication » que la discussion qu’il peut susciter dans des espaces publics comme ceux-ci, ou dans d’autres espaces publics comme la radio, les agoras des conversations, les forums de discussion comme il y en a d’ailleurs sur le net depuis la sortie du livre. Donc tous ceux qui sont présents dans cette salle participent à la « publication » de ce livre, dans le sens que je viens de préciser.
En suivant l’intrigue de ce roman, on peut être comme moi habité par un mélange de ravissement et d’horreur, mais aussi on est amené à méditer sur des questions importantes qu’il soulève. Commençons par ce qu’il y a de ravissant dans ce roman, en indiquant juste trois exemples, sélectionnés parmi plusieurs aussi intéressants les uns que les autres. Le tout premier chapitre vous plonge d’emblée dans un monde féerique, fabuleux, où tout est ordre, calme et volupté, pour parler comme Baudelaire. On aimerait bien être à la place du héros de ce roman Xavier Tikida, quand il retrouve Bazou, sa terre natale. Tout le décor, tous les éléments de la nature : les eucalyptus, le soleil, les oiseaux, l’eau, les cailloux, les têtards, les crapauds, les champs de maïs, les chevrettes, le fumet, l’air, le parfum des herbes fraîches, et tous les humains : les femmes, les bébés, etc., tout conspire à conférer à ce lieu une teneur édénique à la limite du fantasmagorique. C’est comme si le héros lui-même n’en revenait pas. Il est comme plongé dans un étonnement lyrique et dans un état proche de l’extase : « Je sentais naître en moi cet adorable frisson qui s’empare soudainement de tout le corps à chaque fois que, les larmes aux yeux, on murmure sourdement dans le cœur : ‘’Mon Dieu que c’est beau’’ » (p. 7). Comment ne pas avoir envie de faire avec le héros du roman ce « retour au pays natal ». On a l’impression que l’auteur condense en deux pages (la longueur totale de ce premier chapitre) tout le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. Au pays natal le héros se sent « revivre », pour le dire en un mot. Il peut revenir à la vie après s’être égaré ailleurs, loin là-bas, en ville, en ce lieu de malédiction, et peut-être aussi de déperdition. Retourné au village, au paradis, même le costume-cravate pimpant, les chaussures et tous ces accoutrements des gens de la ville apparaissent plutôt comme des travestissements grotesques. Comment ne pas partager cette nostalgie ?
Le deuxième exemple, je le prends au dernier chapitre du roman. C’est quand le héros, à la suite d’un « mystérieux coup de fil » (pp. 153-154) venu des hautes sphères de la république de la Banane retrouve sa liberté. Le texte parle de la joie qu’éprouva Tikida de pouvoir « retourner enfin à la maison et continuer à savourer la liberté » (p. 154). Ce qui est décrit ici, ce n’est pas l’expérience de la liberté tout court. C’est l’expérience de la libération, ou de la liberté retrouvée. Je pense que l’expérience véritable de la liberté ne s’éprouve que dans la libération, c’est-à-dire quand on retrouve la liberté après en avoir été privé. Il en est de même pour la santé. C’est l’expérience de la maladie qui fait que la santé ne soit pas pour nous une pure abstraction, mais quelque chose de concret et de précieux. Cette expérience aussi, tout le monde aimerait pouvoir la partager.
Je n’hésiterais pas non plus à me mettre à la place du héros – c’est le troisième exemple – quand, toujours à la fin de l’histoire (dans le dernier chapitre aussi), ce qu’il avait vu en songe (chapitre précédent, p. 146) est vécu, en vrai. Je préfère laisser parler le héros lui-même : « Comme dans mon rêve, cette belle négresse aux jambes de gazelle et à la taille cambrée s’est débarrassée du grand pagne< Ernest-Marie Mbonda juillet 2006
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