Le Griot des temps modernes par Julien Bernard
Bravo Monsieur le Président, pour toutes ses références. Griot, totem, source royale, "village" dans une acceptation plus originelle, oralité, plus-value de la plume, eldorado. Très riche, et il me faudrait plusieurs murs de Facebook pour étaler mon commentaire.
Voici le même commentaire, un peu plus développé.
Le Griot, notion que j'ignorais, mais comparable au sorcier amérindien, au barde, au druide, au sage, à certains philosophes - dont Socrate, et autres prophètes, Jésus, Jean-Baptiste, Mohammed, Samuel, Zarathoustra ou Bouddha.
Le griot en tant que "méthode d'alerte", pour percer la jungle sonore actuelle. On est blasé par le bruit, non seulement celui des usines mais aussi par le bruit informationnel - terme que l'on utilise dans la documentation. Trop de données tue la donnée. Nos réactions sont disproportionnées : indifférence, panique, dépression, mécompréhension, oubli… on ne sait plus réagir, ni à l'affect, ni intellectuellement. Oui, le griot, voie de secours. Le cliché du tam-tam était lié aux messages, aux codes, aux SOS.
Parler sans fondement, c'est-à-dire parler dans l'abstrait. La sagesse, des mots qui ne veulent rien dire mais qui parlent aux gens. À leur inconscient, par exemple. Et donc le griot comme vecteur de paix et tranquillité, le tao de chaque instant. En fait il ne donne pas de solutions - recettes de cuisine - mais il les suscite chez les gens. Par là, il remue les valeurs que les gens tarissent dans leurs profondeurs !
Il évoque les vicissitudes de la vie, du quotidien. Un réseau inconscient, pour relier les gens, qui ont tous au moins un malheur pour se reconnaître dans l'évocation. Voilà aussi pourquoi je défendais l'autobiographie, opposée à l'exercice du débutant et surtout à l'acte égocentrique et nombriliste : comme en poésie, d'ailleurs, quand je parle de moi je parle d'autrui, et vice-versa. Le réseau, la connexion, et le griot c'est ça.
C'est ainsi que j'en viens aux notions de village et d'oralité.
Oralité : l'archétype africain est d'autant plus fort qu'il nous ramène aux origines, et à l'oralité originelle. Une grande source pour la littérature, la sagesse des scribes n'est venue qu'après. Puis les légendes. Même aux portes de l'Occident, je recite Zoroastre, Socrate ou Jésus qui n'écrivaient pas. Mais tout est dans l'écoute. Donc le village en tant que lieu d'écoute, de gens qui vivent ensemble, à se regarder, à se connaître. Définition noble de la société. Pour la légende, son nom signifie "lecture codée" : discerner les messages, les métaphores, les informations historiques … on retrouve la règle des 4 vérités ! Mais avant une telle lecture, nécessaire est de passer par l'oralité. Et je refais le lien avec la notion de réseau-connexion. La plus-value de la plume.
C'est là qu'on est à l'antipode de l'égocentrisme et du monologue. Celui qui n'a pas respecté les valeurs du village a été stéréotypé en "idiot du village". Le dodele du village, on dit chez nous. Le griot pour éviter l'idiot. (Merci Dostoïevski !)
Aujourd'hui on a l'avantage d'avoir une écriture, très technique : des premiers caractères à l'écriture numérique, via l'alphabet, le solfège, les symboles chimiques, l'écriture analogique… et paradoxalement, on n'écrit plus, on ne lit plus, on ne s'écoute plus. Une écriture/lecture déracinée de son oralité maternelle. Bref, superficielle, le monde des zappeurs.
Et oui, la source d'eau royale, l'oralité et la sagesse sont un puits, une fontaine inépuisable des plus belles réalisations.
Le totem, être mythique ou sculpture symbolique, un lieu au rassemblement pour les villageois. Le village fait son culte, le village fait son roi. L'esprit de clocher est roi.
Ah, les migrations… clandestines ou non. C'est comme ça qu'est née l'Amérique, avec le rêve américain qui a suscité tant de mouvements démographiques. Ah, l'eldorado ! C'est comme ça aussi qu'étaient venues les notions de Terre promise, de sionisme mais aussi de diaspora. Avec le bruit informationnel, l'écriture artificielle, on a fabriqué un rêve occidental, un rêve européen (Fatou Diome l'évoque un peu dans "le ventre de l'Atlantique"), et d'où ces malheureux "naufragés de la mer" actuels, ces migrations massives. Oui, c'est un manque de conscience collective qui a permis aux politiques de lancer la machine de l'immigration clandestine, donc celle d'une économie dominante et le tout pour régaler les mafias.
Voilà, j'ai essayé de faire un lien, un cercle avec les idées de votre longue émission, de votre discours griotique. Un cercle autour de l'idée-maître de l'écriture, de ces valeurs. Oh oui, elle a bien des vocations et vertus éducatives. L'écriture comme miroir du monde.
A tantôt Daouda, Griot des temps modernes,
Julien Bernard
|