S'ouvrir à la mixité

Jean-Paul Ada Bekoa

Quand on fait face à un débat qui évoque la mixité sociale, l'on choisit l'une des options suivantes : la nécessité de découvrir cette question de façon approfondie afin d'en dégager les perspectives ou alors, le rejet manifeste et radical, vis-à-vis de cette dernière dès l'entame de la réflexion. Cela est observable à la fois dans notre espace clos, privé, familial et aussi dans un environnement nettement plus large, dans un lieu public, professionnel et/ou spirituel où le sujet, à défaut d'être posé de manière théorique, s'impose plutôt de manière empirique, factuelle, visible à travers les chocs produits par les acteurs qui le concrétisent. Aujourd'hui, évoquer cette préoccupation s'avère nécessaire ou suicidaire en fonction du repère et du référentiel qui sont les nôtres. Et ne pas y accorder la moindre importance peut finalement être fatale, en ce sens que cette problématique fait plus que jamais partie de notre quotidien.
La Mixité sociale
Quel que soit le lieu d'où l'on peut être interpellé par la question de la mixité, ce qui s'impose immédiatement, c'est de l'appréhender dans sa définition pour la distinguer de toute autre chose. La mixité est pour ainsi dire, le caractère de ce qui est mixte, de ce qui est composé des choses de natures différentes. Et dans notre cadre qui est plutôt sociétal, parler de mixité sociale c'est désigner la présence simultanée ou la cohabitation, en un même lieu, des personnes différentes appartenant à des catégories sociales, à des cultures et à des nationalités distinctes.
La portée de la mixité sociale
L'intérêt principal qui pousse à s'interroger est celui de la qualité du lien social dans un environnement où il y a un réel brassage. Tel que le précise Thomas Hobbes dans la 2e partie du Léviathan, la raison finale, la fin ou l'intention des Hommes quand ils s'organisent en République, est la prévision de leur propre préservation et plus loin, d'une vie épanouie. Évoquer la mixité revient donc à préserver les rapports harmonieux dans notre cadre de vie.
Soumise à une même convention et portée par la même culture, la dynamique des personnes appartenant à une communauté reste relativement convergente, en ce qu'il y a une sorte de déterminisme social, un idéal commun qui structure les rapports et tend à renforcer la stabilité collective. Et lorsque cette communauté reçoit un sujet qui lui est extérieur, deux possibilités s'offrent de façon alternante. D'une part l'accueil et d'autre part le rejet. Dans le premier cas, l'étranger est appelé à s'intégrer, à s'accoutumer ou même à s'assimiler aux valeurs, aux us et coutumes qui constituent le groupe. Volontairement ou involontairement, le processus est mis en marche dès le premier contact. Par ailleurs, tout se passe en fonction de la perception que le collectif a des sujets étrangers qui s'invitent dans son espace, et plus loin, à travers la qualité d'accueil réservé à ceux-ci, pouvant susciter la confiance. Et dans le second cas qui est celui du rejet, l'individu extérieur à la famille qu'il intègre ne peut que faire face à une situation conflictuelle, dès lors il n'est pas le bienvenu.
Notons que tout groupe s'active de manière à assurer sa stabilité, sa sécurité et sa pérennité dans le temps. Et dans ce cadre d'ambition, de projection, tout agent extérieur, en fonction ou non de ses intentions, peut être considéré comme un facteur de déstabilisation ou de fragilisation du groupe, un élément perturbateur, nuisible au bon épanouissement. Ainsi, la réaction qui découlerait de cette perception de l'autre, peut s'avérer réfractaire, opposée à un accueil, à une insertion de celui qui vient et qui est manifestement différent.
Mais, autant dans une communauté, il y a des interactions entre les membres, autant il y en a avec le monde extérieur. Il n'y a donc pas de société qui puisse être totalement coupée du monde, sous prétexte de privilégier le lien entre ses membres, sa culture et sa sécurité dans le temps. La rencontre de l'individu externe avec le groupe est une nécessité vitale, parce qu'elle améliore et enrichit de manière globale, le regard sur le monde.
L'existence de l'humanité étant une recherche permanente de la survie, elle pousse l'individu à s'adonner à la vie associative, où il peut s'améliorer et se perfectionner. Amélioration et perfectionnement qui ne sont possibles que par la coopération, la collaboration avec d'autres communautés. L'humain, tenu par l'instinct grégaire ne peut donc pas se passer de son semblable ; celui-ci ne l'est pas nécessairement par l'apparence ou par l'appartenance, mais aussi par la différence qui les distingue culturellement, physiquement, différence qui donne lieu à la complémentarité. Ainsi, rejeter la mixité, ce serait évidemment nier la diversité des forces vives au carrefour de l'humanité, où la diversité abreuvée d'amour constitue le carburant de la survie de l'espèce.
Nécessité d'un dialogue social compréhensible
Là où il y a cohabitation des personnes différentes par leur race, leur âge, leur classe sociale, leur origine et leurs préférences, une coexistence pacifique doit être au rendez-vous afin qu'on puisse parler véritablement de mixité. La mixité sociale ne peut pas être le simple fait d'une proximité spatiale. Pour confirmer qu'il y a mixité, il faudrait constater une osmose dans les rapports inters communautaires. On doit constater une symbiose qui sédimente l'unité. Et si ce n'est pas le cas, alors la cohabitation perçue serait nourrie par des confrontations actionnées et entretenues par différentes factions.
Dans le cadre de la France où le sujet suscite de vives polémiques, la question se partage entre les partisans d'une mixité obligatoire et les identitaires situés à l'extrême droite, défenseurs d'un tissu social unique dans sa composition interne. Et entre ces deux parties qui dissertent dans une surdité contre-productive, se trouvent de véritables acteurs dont les contingences existentielles entraînent discrètement au brassage.
Il faut donc un dialogue permanent qui soit fait par les citoyens qui palpent le réel. Le souci est de donner la possibilité à toute personne d'apporter sa contribution, sa réflexion sur cet épineux problème, d'abord parce que les citoyens sont les véritables concernés, les véritables acteurs de ce fait social. C'est important de le dire parce qu'on constate que la plupart des faits de société sont plus ou moins confisqués par les journalistes et les experts. Ce qui ne veut pas dire que les spécialistes n'ont pas de légitimité à se saisir d'un fait social pour l'analyser dans sa profondeur et ensuite proposer des solutions ; mais il est utile de reconnaître que le fait d'avoir le monopole du débat transforme les vrais acteurs, ceux qui vivent les problèmes sociaux dans leurs chairs, en de véritables spectateurs ou téléspectateurs, pourtant, ils ont aussi le droit d'apporter du leur au carrefour des interrogations.
Il serait plus intéressant que ceux qui vivent la mixité dans leur milieu apportent leurs témoignages pour partager l'expérience, au lieu de se contenter des lectures d'experts. Lectures parfois déconnectées du réel, du fait qu'elles s'emprisonnent dans des codes n'ayant aucun lien naturel avec les faits. Encore qu'il ne faille pas oublier que ces derniers travaillent parfois à dessein et que seul l'objectif final qui est le leur, peut conditionner leurs moyens et leurs méthodes. Même en ayant à leur disposition, des outils scientifiques pour maitriser et dépasser le fait social mis sur la table, ils sont souvent détournés par d'autres enjeux.
Mixité et identité
La mixité interpelle l'identité personnelle, individuelle de celui qui est concerné. Et plus loin, l'identité collective du groupe avec lequel on est en interaction. C'est la rencontre de plusieurs univers en symbiose ou en opposition. À travers une rencontre fusionnelle, les identités ne perçoivent pas leurs différences comme un inconvénient, comme un obstacle à l'épanouissement de chacun, mais plutôt comme un avantage qui conduit à la réinvention de soi, à la découverte de soi à travers l'autre. Par contre, mises en opposition, elles aboutissent à un antagonisme identitaire, communautaire qui nourrit inéluctablement le repli. À l'aube de la mondialisation, la mixité est un fait qui s'impose. L'époque ou le citoyen fut sédentaire est révolue au bénéfice de ce que l'on appelle citoyen nomade. Citoyen universel originaire de Chine, résident au Mali et toujours lié à sa famille originelle grâce aux nouveaux moyens de communication. Citoyen en permanente transformation dans les espaces qu'il intègre, car l'identité virtuellement perçue comme étant figée n'existe pas, elle reste plutôt inachevée. Elle n'est pas une forme, elle est un processus en évolution.
À l'issue d'un des entretiens sur le roman Mélanique qui participe à cette réflexion, Jean-Jacques Rivière nous affirme qu'au-delà du masque de l'altérité, ce qui est visé, c' est l'universelle singularité de chacun, et finalement, à l'horizon de toutes les différences, nous sommes conviés à un regard plein d'humanité sur ce qui nous fait et sur ce qui pourrait le menacer… entre racismes, xénophobie et trans humanisme, les frontières sont aussi poreuses qu'arbitraires, et l'on espère qu' elles sont vouées à l'effacement, et comme dé- substantialisées par l'évidence qui nous est proposée : "tous les couples sont mixtes ; à défaut d'être étranger, l'autre est toujours un être étrange" pour citer Mélanique.
Loin des propagandes qui présentent la mixité comme un emblème, l'homme contemporain, produit de l'éducation actuelle, doit abandonner la peur, le refus et la division. Il doit cesser d'entretenir le barrage qui s'appelle'préjuger'. Il craint les dangers inexistants, espère les résultats impossibles, tire des conclusions erronées, accuse les autres de ses propres torts. La vie et les émotions de tous les hommes ont la même valeur, cela doit les obliger à combattre les inégalités, à chercher la sécurité de la diversité et de la mixité, trouver la stabilité et la pérennité. Le but est personnel et altruiste, l'acceptation de la réalité essentielle de celui et celle qui se tient en face. Dans ce cas, la présence de l'autre en tant qu'un autre que moi est acceptée. Annihiler la dualité, rétablir l'unité, l'unicité. C'est ce qu'on appelle l'Amour. C'est à cela que l'homme aspire. L'une des plus hautes formes du bonheur humain. Cela nécessite une extrême vigilance et parfois un combat difficile que personne n'aurait la lucidité de mener, s'il n'en comprend pas la totale mesure. Les hommes ont plus de points communs qu'ils ne le croient. La recherche de la paix et la sécurité, ne devrait pas attiser des fanatismes ou multiplier les souffrances.

Le léviathan ou la matière, la forme ou la puissance d'un État ecclésiastique et civil. Thomas Hobbes (1651) Traduction de P. Folliot, 2004, 163p édition numérique
Jean-Claude Kauffmann, l'invention de soi, une théorie de l'identité. Paris, A. Colin, coll. Individu et société, 2004, 352 p.
https://www.youtube.com/watch?v=8L7nonjxbiE (conférence sur l'identité)
entretiens: Jean-Jacques Rouvière sur le roman Mélanique
Naomie Baltimore, Mixité et Métissage


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